mardi 10 juillet 2012


DE L’INTERPRETATION DE L’ARTICLE 14 DE L’AUPSRVE : à propos de l’Arrêt n°065/2012 du 07 Juin 2012 de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA (CCJA)



L’article 14 de l’AUPSRVE[1] dispose « la décision de la juridiction saisie sur opposition se substitue à la décision portant injonction de payer ». Littéralement, cela signifie que dès lors qu’opposition est formée contre une ordonnance d’injonction de payer, celle-ci cesse de produire effet et ne pourra plus être excipée, encore moins mise à exécution, puisque la décision sur l’opposition va se substituer à elle. C’est du reste ce qui justifie le rejet par certaines juges de la demande d’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance d’injonction de payer dont l’opposition n’a pas prospéré[2].

Cette interprétation, si elle est conforme à l’esprit même du législateur communautaire, ne va pas sans poser quelques problèmes pratiques. En effet, par l’opposition, le juge est saisi de l’entier litige et peut dès lors en examiner tous les aspects, pour enfin rendre un jugement soit de condamnation au paiement du montant, ou d’une partie du montant contenu dans l’ordonnance en fonction des éléments de preuve qui lui auront été fournis par le créancier, soit de débouté si celui-ci ne rapporte pas la preuve suffisante des sommes réclamées. La décision ainsi rendue a dépourvu de tout effet l’ordonnance d’injonction de payer initiale, et c’est elle seule qui peut désormais soit être mise à exécution, soit faire l’objet d’une voie de recours, notamment l’appel[3]. Ainsi, le jugement de condamnation doit obligatoirement contenir le montant des sommes à payer et ne peut se borner à confirmer l’ordonnance, encore moins à lui restituer son plein et entier effet, celle-ci ne pouvant plus recevoir apposition de la formule exécutoire du fait de l’opposition exercée.

Cependant, la situation devient plus complexe lorsqu’à la suite de l’opposition, il n’est pas donné au juge d’examiner le litige au fond. C’est notamment le cas lorsque l’opposition est jugée irrecevable parce qu’intervenue hors délai. Il en est de même lorsque l’appel contre le jugement d’irrecevabilité de l’opposition est déclaré irrecevable parce que hors délai. Il se pose donc la question de savoir si le juge, bien que n’ayant pas examiné le fond du litige, doit prononcer la condamnation au paiement des sommes contenues dans l’ordonnance d’injonction de payer désormais consolidée mais dépourvue d’effet du fait de l’opposition déclarée irrecevable.

La Haute juridiction communautaire vient de se prononcer sur la question à travers un arrêt en date du 07 Juin 2012[4].

Dans cette espèce en effet, le créancier avait sollicité et obtenu du juge des requêtes une ordonnance d’injonction de payer qu’il a signifiée à son débiteur. Ce dernier ayant formé opposition hors délai, le jugement consécutif rendu l’a déclarée irrecevable, mais a simplement indiqué qu’il restituait à l’ordonnance d’injonction de payer attaquée « son plein et entier effet »[5]. L’appel du débiteur contre ledit jugement a également été déclaré irrecevable comme tardif. Dès lors, muni de la grosse dûment en forme exécutoire de l’arrêt de la Cour d’Appel, et de l’ordonnance d’injonction de payer contenant les sommes réclamées mais non revêtue de la formule exécutoire, le créancier a entrepris une saisie attribution au préjudice du débiteur qui a aussitôt saisi le juge des référés (entendez ici le juge de l’exécution) en nullité de ladite saisie fondée sur l’absence de titre exécutoire au sens de l’article 33 de l’AUPSRVE. Le juge des référés a validé la saisie avant de voir sa décision infirmée par la Cour d’appel qui a estimé que la saisie critiquée n’était pas fondée sur un titre exécutoire au sens de l’article 33 susvisé.

C’est l’arrêt de cette Cour d’appel que la Haute juridiction communautaire vient de casser, en précisant « … mais attendu que l’application de cet article (art. 14) suppose que la juridiction compétente ait été mise en situation de statuer sur le fond du litige alors qu’en l’espèce aussi bien l’opposition à l’ordonnance d’injonction de payer que l’appel contre le jugement ont été faits hors délai et ont été déclarées irrecevables par des décisions devenues définitives qui seraient un obstacle à toute reprise de la procédure en raison du principe de la chose jugée ; que l’absence de l’opposition à l’injonction de payer comme le fait pour les juges de n’avoir pas statué sur le fond de la contestation pour cause de forclusion des opposants, alors même qu’aucune faute ne peut être reprochée au créancier poursuivant, justifie l’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance d’injonction de payer ou sur le jugement qui vaut dès lors titre exécutoire ; qu’en se fondant sur l’article 14 de l’Acte Uniforme pour en déduire que la saisie a été pratiquée sans titre exécutoire au sens de l’article 33 de l’Acte Uniforme, la décision dont est pourvoi a fait une mauvaise interprétation de la loi ; qu’il y a en conséquence lieu de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer le fond (…) attendu qu’en effet, faute d’opposition à l’ordonnance d’injonction de payer ou en cas de jugement ou arrêt n’ayant pas examiné le fond en raison de la tardiveté de l’opposition ou de l’appel, l’ordonnance d’injonction de payer accompagnée de la décision irrévocable du Tribunal ou de la Cour d’Appel vaut bien titre exécutoire justifiant la procédure d’exécution entreprise…»

Cette position de la Cour intervient à juste titre, dans la mesure où dans le cas ci-dessus exposé, l’ordonnance d’injonction de payer devenue irrévocable ne pouvait pas être mise à exécution, le Greffier se refusant d’y apposer la formule exécutoire en invoquant l’article 14, d’une part, l’arrêt de la Cour d’appel bien que revêtant la formule exécutoire ne contenant aucune condamnation chiffrée, d’autre part. Or, l’article 33.1 de l’AUPSRVE susvisé précise que constituent des titres exécutoires « les décisions juridictionnelles revêtues de la formule exécutoire et celles qui sont exécutoires sur minute ». Cette interprétation stricte des dispositions combinées des articles 14 et 33 de l’AUPSRVE par la Cour d’Appel a manqué de déboucher sur une sorte de déni de justice, voire une impasse, les deux décisions étant désormais irrévocables, mais inexécutables.

En somme, s’il est vrai que la décision de la Haute Juridiction permettra au créancier de rentrer dans ses droits, ce qui n’est que Justice, il est également vrai que le problème reste entier à notre sens, la décision de la Cour d’Appel dont exécution ne pouvant pas se substituer à l’ordonnance d’injonction de payer initiale. En réalité, le créancier ici est obligé de mettre à exécution, simultanément, deux décisions de justice, alors que le législateur a pris le soin d’indiquer qu’en définitive, une seule décision sera rendue, se substituant à l’ordonnance d’injonction de payer dont opposition. Nous pensons dès lors qu’il est important de demeurer dans la lettre et l’esprit de l’article 14 et de dire qu’il revient aux juges statuant sur l’opposition d’assortir leurs décisions de condamnation chiffrée, s’il y a lieu, quand bien même le litige n’aura pas été examiné au fond, le montant de l’ordonnance attaquée étant consolidé soit par le débouté, soit par l’irrecevabilité de l’opposition. Il ne pourrait d’ailleurs en être autrement, l’indication de l’article 14 nous paraissant péremptoire. On peut affirmer que rendues suivant ce canevas, les décisions sur opposition pourront être mises à exécution, seules, sans autre forme de procès.



Me Jérémie WAMBO

Avocat



[1] Acte Uniforme portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution
[2] Note du Pr Ndiaw DIOUF sous article 14 AUPSRVE
[3] La décision statuant sur l’opposition produisant les effets d’une décision réputée contradictoire, même en l’absence de l’opposant, elle ne peut être susceptible que d’appel dans les conditions de l’art. 15 de l’AUPSRVE
[4] CCJA, Arrêt n°065/2012 du 07 Juin 2012, Aff. DIAKITE MOUSSA C/ DIOULO Serges et autres, inédit
[5] TPI d’Abidjan, Jugement n°1283/Civ. D3 du 17 Mai 2006, inédit