DE L’INTERPRETATION
DE L’ARTICLE 14 DE L’AUPSRVE : à propos de l’Arrêt n°065/2012 du 07 Juin
2012 de la Cour Commune
de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA (CCJA)
L’article 14 de l’AUPSRVE[1]
dispose « la décision de la juridiction saisie sur opposition se substitue
à la décision portant injonction de payer ». Littéralement, cela signifie que dès lors qu’opposition est
formée contre une ordonnance d’injonction de payer, celle-ci cesse de produire
effet et ne pourra plus être excipée, encore moins mise à exécution, puisque la
décision sur l’opposition va se substituer à elle. C’est du reste ce qui
justifie le rejet par certaines juges de la demande d’apposition de la formule
exécutoire sur l’ordonnance d’injonction de payer dont l’opposition n’a pas
prospéré[2].
Cette interprétation, si elle est conforme à l’esprit
même du législateur communautaire, ne va pas sans poser quelques problèmes
pratiques. En effet, par l’opposition, le juge est saisi de l’entier litige et
peut dès lors en examiner tous les aspects, pour enfin rendre un jugement soit
de condamnation au paiement du montant, ou d’une partie du montant contenu dans
l’ordonnance en fonction des éléments de preuve qui lui auront été fournis par
le créancier, soit de débouté si celui-ci ne rapporte pas la preuve suffisante
des sommes réclamées. La décision ainsi rendue a dépourvu de tout effet
l’ordonnance d’injonction de payer initiale, et c’est elle seule qui peut
désormais soit être mise à exécution, soit faire l’objet d’une voie de recours,
notamment l’appel[3]. Ainsi, le jugement de
condamnation doit obligatoirement contenir le montant des sommes à payer et ne
peut se borner à confirmer l’ordonnance, encore moins à lui restituer son plein
et entier effet, celle-ci ne pouvant plus recevoir apposition de la formule
exécutoire du fait de l’opposition exercée.
Cependant, la situation devient plus complexe lorsqu’à
la suite de l’opposition, il n’est pas donné au juge d’examiner le litige au
fond. C’est notamment le cas lorsque l’opposition est jugée irrecevable parce
qu’intervenue hors délai. Il en est de même lorsque l’appel contre le jugement
d’irrecevabilité de l’opposition est déclaré irrecevable parce que hors délai.
Il se pose donc la question de savoir si le juge, bien que n’ayant pas examiné
le fond du litige, doit prononcer la condamnation au paiement des sommes
contenues dans l’ordonnance d’injonction de payer désormais consolidée mais
dépourvue d’effet du fait de l’opposition déclarée irrecevable.
Dans cette espèce en effet, le créancier avait
sollicité et obtenu du juge des requêtes une ordonnance d’injonction de payer
qu’il a signifiée à son débiteur. Ce dernier ayant formé opposition hors délai,
le jugement consécutif rendu l’a déclarée irrecevable, mais a simplement
indiqué qu’il restituait à l’ordonnance d’injonction de payer attaquée « son plein et entier effet »[5].
L’appel du débiteur contre ledit jugement a également été déclaré irrecevable
comme tardif. Dès lors, muni de la grosse dûment en forme exécutoire de l’arrêt
de la Cour
d’Appel, et de l’ordonnance d’injonction de payer contenant les sommes
réclamées mais non revêtue de la formule exécutoire, le créancier a entrepris
une saisie attribution au préjudice du débiteur qui a aussitôt saisi le juge
des référés (entendez ici le juge de l’exécution) en nullité de ladite saisie
fondée sur l’absence de titre exécutoire au sens de l’article 33 de l’AUPSRVE.
Le juge des référés a validé la saisie avant de voir sa décision infirmée par la Cour d’appel qui a estimé que
la saisie critiquée n’était pas fondée sur un titre exécutoire au sens de
l’article 33 susvisé.
C’est l’arrêt de cette Cour d’appel que la Haute juridiction
communautaire vient de casser, en précisant « … mais attendu que l’application de cet article (art. 14) suppose que la juridiction compétente ait
été mise en situation de statuer sur le fond du litige alors qu’en l’espèce
aussi bien l’opposition à l’ordonnance d’injonction de payer que l’appel contre
le jugement ont été faits hors délai et ont été déclarées irrecevables par des
décisions devenues définitives qui seraient un obstacle à toute reprise de la
procédure en raison du principe de la chose jugée ; que l’absence de
l’opposition à l’injonction de payer comme le fait pour les juges de n’avoir
pas statué sur le fond de la contestation pour cause de forclusion des
opposants, alors même qu’aucune faute ne peut être reprochée au créancier
poursuivant, justifie l’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance
d’injonction de payer ou sur le jugement qui vaut dès lors titre
exécutoire ; qu’en se fondant sur l’article 14 de l’Acte Uniforme pour en
déduire que la saisie a été pratiquée sans titre exécutoire au sens de
l’article 33 de l’Acte Uniforme, la décision dont est pourvoi a fait une
mauvaise interprétation de la loi ; qu’il y a en conséquence lieu de
casser l’arrêt attaqué et d’évoquer le fond (…) attendu qu’en effet, faute d’opposition à l’ordonnance d’injonction de
payer ou en cas de jugement ou arrêt n’ayant pas examiné le fond en raison de
la tardiveté de l’opposition ou de l’appel, l’ordonnance d’injonction de payer
accompagnée de la décision irrévocable du Tribunal ou de la Cour d’Appel vaut bien titre
exécutoire justifiant la procédure d’exécution entreprise…»
Cette position de la Cour intervient à juste titre, dans la mesure où
dans le cas ci-dessus exposé, l’ordonnance d’injonction de payer devenue
irrévocable ne pouvait pas être mise à exécution, le Greffier se refusant d’y
apposer la formule exécutoire en invoquant l’article 14, d’une part, l’arrêt de
la Cour d’appel
bien que revêtant la formule exécutoire ne contenant aucune condamnation
chiffrée, d’autre part. Or, l’article 33.1 de l’AUPSRVE susvisé précise que
constituent des titres exécutoires « les
décisions juridictionnelles revêtues de la formule exécutoire et celles qui
sont exécutoires sur minute ». Cette interprétation stricte des
dispositions combinées des articles 14 et 33 de l’AUPSRVE par la Cour d’Appel a manqué de déboucher
sur une sorte de déni de justice, voire une impasse, les deux décisions étant
désormais irrévocables, mais inexécutables.
En somme, s’il est vrai que la décision de la Haute Juridiction
permettra au créancier de rentrer dans ses droits, ce qui n’est que Justice, il
est également vrai que le problème reste entier à notre sens, la décision de la
Cour d’Appel dont exécution ne pouvant pas se substituer à l’ordonnance
d’injonction de payer initiale. En réalité, le créancier ici est obligé de
mettre à exécution, simultanément, deux décisions de justice, alors que le
législateur a pris le soin d’indiquer qu’en définitive, une seule décision sera
rendue, se substituant à l’ordonnance d’injonction de payer dont opposition.
Nous pensons dès lors qu’il est important de demeurer dans la lettre et
l’esprit de l’article 14 et de dire qu’il revient aux juges statuant sur
l’opposition d’assortir leurs décisions de condamnation chiffrée, s’il y a
lieu, quand bien même le litige n’aura pas été examiné au fond, le montant de
l’ordonnance attaquée étant consolidé soit par le débouté, soit par
l’irrecevabilité de l’opposition. Il ne pourrait d’ailleurs en être autrement,
l’indication de l’article 14 nous paraissant péremptoire. On peut affirmer que
rendues suivant ce canevas, les décisions sur opposition pourront être mises à
exécution, seules, sans autre forme de procès.
Me Jérémie WAMBO
Avocat
[1] Acte Uniforme portant
Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies
d’Exécution
[2] Note du Pr Ndiaw DIOUF
sous article 14 AUPSRVE
[3] La décision statuant sur
l’opposition produisant les effets d’une décision réputée contradictoire, même
en l’absence de l’opposant, elle ne peut être susceptible que d’appel dans les
conditions de l’art. 15 de l’AUPSRVE
[4] CCJA, Arrêt n°065/2012 du
07 Juin 2012, Aff. DIAKITE MOUSSA C/ DIOULO Serges et autres, inédit
[5] TPI d’Abidjan, Jugement
n°1283/Civ. D3 du 17 Mai 2006, inédit