La procédure d’injonction
de délivrer ou de restituer est l’une des procédures simplifiées de
recouvrement instituées par le législateur communautaire OHADA. Elle est
règlementée par les articles 9 à 15 et principalement par les articles 19 à 27
de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE).
Aux termes de l'art.19
de l'AUPSRVE « celui qui se prétend
créancier d'une obligation de délivrance ou de restitution d'un bien meuble
corporel, peut demander au président de la juridiction compétente d'ordonner
cette délivrance ou restitution ». Toutefois, pour mieux cerner les
notions d'obligation de délivrance ou de restitution au sens du texte susvisé,
il convient d'en déterminer le champ d'application (I) et la procédure
applicable (II).
I
- CHAMP D'APPLICATION DE L'OBLIGATION DE DELIVRANCE OU DE RESTITUTION
Le texte de l'article
19 de l'AUPSRVE parle expressément de « meuble corporel ».
Il s'agira ainsi, par
exemple, de véhicule automobile loué, d'objet remis en dépôt ou de tout autre
bien meuble déterminé.
L'énonciation de
l'article 19 ci-dessus exclut toute créance de délivrance ou de restitution
portant sur une somme d'argent déposée dans un compte[1] ou
portant sur un bien immobilier[2]. De
même, l'injonction de délivrer ou de restituer ne peut porter sur un bien ayant fait l'objet de vente[3].
Lorsque l'obligation litigieuse
ne rentre pas dans le champ d'application ci-dessus, la requête consécutive
doit être déclarée irrecevable.
II
- LA PROCEDURE D'INJONCTION DE DELIVRER OU DE RESTITUER
Elle commence par une
requête(1) suivie, le cas échéant, d'une décision du juge compétent(2) qui
produit des effets(3).
1)
- La requête
La requête aux fins de
délivrance ou de restitution doit être adressée au Président de la juridiction
compétente du domicile ou du lieu où demeure le débiteur de l'obligation.
Ladite requête est présentée comme celle aux fins d'injonction de payer, avec
la différence que s'agissant d'un bien mobilier, celui-ci doit être désigné de
manière précise. Ainsi, à titre d'exemple, lorsque le bien en question est un
véhicule automobile, sa désignation n'est pas précise si elle ne contient que
la marque et ne mentionne pas ses caractéristiques techniques, son numéro de
châssis ou de plaque d'immatriculation.
Il convient de relever
toutefois qu’une interprétation à notre avis erronée de l’article 19 de l’AUPSRVE
a conduit certaines juridictions[4] à
retenir la compétence du président de la juridiction statuant comme juge des
référés pour ordonner la restitution, alors que la décision du juge des
référés, qui est contradictoire, n’est pas par principe susceptible d’opposition.
Or, la voie de recours prévue par les articles 25 et 26 contre la décision du « président de la juridiction compétente »
est l’opposition, ce qui permet de comprendre que le président de la
juridiction compétente visé statue comme juge gracieux, c’est-à-dire en l’absence
de l’adversaire. C’est donc parce qu’il statue en l’absence de l’adversaire qu’il
est permis de revenir devant lui par la voie de l’opposition pour contester sa
décision.
2)
- La décision
L'article 23 de
l'AUPSRVE indique que « si la
requête paraît fondée, la président de la juridiction compétente rend une
décision (ordonnance) portant injonction de délivrer ou de restituer le bien
litigieux ». Ce sera le cas lorsque la requête est soutendue par des
preuves qui établissent à première vue l'obligation.
Par contre, si la
requête ne paraît pas fondée, le président la rejette. Ce rejet ne se fait pas
par une décision, mais simplement au moyen d'une mention portée sur la requête
qui est restituée, accompagnée des pièces, au requérant qui, si le motif de rejet est dissipé, pourra
toujours la réintroduire.
La décision rendue doit
être signifiée au débiteur dans les trois mois[5] de
son prononcé, avec sommation d'avoir, dans un délai de 15 jours:
·
soit à transporter, à ses frais, le bien
désigné en un lieu et dans les conditions indiquées;
·
soit à former opposition au greffe de la
juridiction ayant rendu l'ordonnance, par déclaration écrite ou verbale contre
récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception ou par tout moyen
laissant trace écrite. Aux termes de l'article 26 de l'AUPSRVE, l'opposition
est soumise aux dispositions des articles 9 à 15[6].
L'on peut cependant se
poser la question de savoir si la signification à intervenir doit, comme celle
de l'ordonnance d'injonction de payer, comporter las frais à supporter par le
débiteur.
Bien que le législateur
communautaire ne l'ait pas indiqué expressément, nous pensons que dès là
requête déjà le créancier doit introduire les frais, notamment ceux engendrés
par la procédure. Ces frais une fois incorporés dans la décision à intervenir
pourraient valablement être incluses dans l'acte de signification, aux fins de
paiement.
3)
- Effets de la décision signifiée
*
l'exécution de la décision
Si le débiteur n'entend
pas contester la décision à lui signifiée, il l'exécute spontanément. Dans ce
cas, il doit transporter à ses frais le bien désigné dans les conditions
indiquées par le créancier. Dans le cas où il ne s'exécute pas spontanément, le
créancier peut solliciter et obtenir du président de la juridiction ayant rendu
la décision l'apposition de la formule exécutoire, aux fins d’exécution forcée.
*
L'opposition
L'article 26 de
l'AUPSRVE dispose que « l'opposition
contre la décision d'injonction de délivrer ou de restituer est soumise aux
dispositions des articles 9 à 15 du même Acte uniforme », pendant que
l'article 25 alinéa 3 indique que l'opposition doit être formée « au greffe de la juridiction ayant rendu
l'ordonnance, par déclaration écrite ou verbale contre récépissé ou par lettre
recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout moyen laissant trace
écrite ».
Il nous semble que les dispositions des articles 25 et 26 sont incompatibles dans la
mesure où l'opposition faite dans l’une des formes qui doivent être indiquées à
peine de nullité dans l’acte de signification, notamment par déclaration
verbale, n'est pas conforme à l'opposition indiquée aux articles 9 à 15 qui
doit, elle, être faite avec assignation à comparaître, le tout dans un seul et même
acte. Or, l'opposition faite par déclaration verbale au greffe ne pourrait pas
contenir assignation à comparaître comme dans le cas de l'injonction de payer.
Dès lors, il n’est pas
discutable que la mise en œuvre de cette disposition pose d'énormes problèmes qui
auraient été récurrents si le recours à cette procédure avait été aussi
fréquent que le recours à celle de l'injonction de payer.
Il est vrai que la CCJA
a déjà pris position à travers un arrêt[7] de
principe dans lequel elle exige que l’opposition soit faite ainsi qu’il est
indiqué aux articles 9 à 15 de l’AUPSRVE.
Cette position, révisable à notre avis, ne semble pas avoir eu beaucoup d’échos
de façon à susciter des débats. On pourrait tout de même expliquer cela par le
fait que le recours par les praticiens à cette procédure n’est que sporadique. En
témoigne la pauvreté de la jurisprudence en la matière. Nous pensons néanmoins qu'il
est opportun ou urgent pour le législateur d'intervenir pour clarifier et
simplifier la mise en œuvre des dispositions en cause. L’intervention du
législateur est d’autant plus urgente que l’opposition en la matière faite dans
les termes de l’article 11 encourt la nullité en vertu de l’article 25 qui
prescrit une forme d’opposition qui ne sera pas acceptée plus tard, eu égard à
la jurisprudence ci-dessus évoquée.
Pour le reste de la
procédure, nous pensons que face au silence du législateur, il y a lieu
d'appliquer les dispositions relatives à la procédure d'injonction de payer,
notamment en ce qui concerne l’appel et ses suites.
Jérémie
WAMBO
Avocat
J.R. CCJA/OHADA
[1] CA de Daloa, arrêt n°112/2003 du
07 mai 2003, Aff. FLEC C/ COPAVA - BIAO Daloa, Recueil juris-ohada n°2, P. 29 - 31
[2] CCJA, arrêt n°008/2013 du 07
mars 2013, Aff. SGBC SA C/ M. WABO René, Recueil de jurisprudence CCJA n°20, PP.
5 & Suiv. (dans cette espèce, le propriétaire de parcelles qui les avaient
affectées en garantie de remboursement d'un prêt avait sollicité la restitution
par le banquier de ses titres fonciers en excipant l'annulation par le juge de
la convention de prêt. La CCJA avait indiqué que la procédure d'injonction de
délivrer ou de restituer n'était pas applicable en l'espèce, s'agissant d'un
bien immobilier).
[3]Sauf si le contrat de vente était
assorti d'une clause de réserve de propriété mettant à la charge de l'acheteur
une obligation de restitution en cas d'une défaillance quelconque. Dans le cas
contraire, la restitution n'est possible qu'en cas de résolution de la vente.
[4] Cour d’appel du Centre
(Yaoundé), arrêt n°278/CIV du 21 juin 2002, Aff. Sté KENYA AIRWAYS SA C/ VAN
DER LAY & Autres, Ohadata J-04-468.
[5] La décision est caduque si elle
n'est pas signifiée dans ce délai (art. al.3 AUPSRVE)
[6]Voir infra la problématique
soulevée.
[7] CCJA, arrêt n°042/2009 du 30
juin 2009, Aff. SAFCA C/ ABDOULAYE FOFANA, Recueil CCJA n°13, P.113 : « Attendu
qu’en l’espèce, il ressort des productions que la SAFCA a, par déclaration verbale
en date du 22 septembre 2005, fait opposition à l’Ordonnance
d’injonction de restituer n°3538/2005 rendue le 1er septembre 2005
par la juridiction présidentielle du Tribunal de première instance d’Abidjan
Plateau ; que ladite opposition a été signifiée au greffe du tribunal de
manière verbale le 22 septembre 2005 mais notifiée à Monsieur Abdoulaye FOFANA
le 04 octobre 2005, soit 12 jours plus tard ; que l’opposition étant
soumise aux dispositions des articles 9 à 15 de l’Acte uniforme susvisé, la SAFCA est tenue, à peine de
déchéance et dans le même acte que celui de l’opposition, de signifier son
recours à toutes les parties et au greffe de la juridiction ayant rendu la
décision d’injonction de délivrer ; que ne l’ayant pas fait, c’est à bon
droit que le premier juge a déclaré la
SAFCA déchue de son opposition et la Cour d’appel en confirmant
une telle décision n’a en rien violé l’article visé au moyen »